Nous avions perdu la trace de Chris Bailey quelque part fin 2006, après un ultime Lp des Saints ‘Imperious Delirium’, alors ramené en trio suite au passage éclair de l’ex-Church, Marty Wilson-Piper. Sans plus d’inquiétude, tant le vagabondage est dans l’âme de l’Australien. Qui a passé la cinquantaine à la façon des marins d’antan dépassant le Cap Horn, œil imperturbablement vissé sur le large horizon, comme pour mieux s’affranchir du tangage et des roulis alentour. Et, sur cet album tout d’énergique effervescence, il y avait un simple titre, ‘Je fuckin’ t’aime’ qui aurait dû nous mettre la puce à l’oreille et nous ramener à l’esprit, dans le joyeux franglais du titre, tout l’attachement de ce Saint - qui n’est pas un ange - pour notre pays.
Du coup, son association ponctuelle avec H-Burns, qui pourrait être son fils, n’est, en soi, pas si surprenante tant folk et blues restent chez lui de constantes mamelles à téter et que l’enfant de la Drôme, son alter égo circonstanciel, semble aussi en connaitre un rayon sur la question. Le père, le fils et l’esprit Saint, si l’on veut ! Mais, quitte à rester dans l’allégorie religieuse, le seul miracle ici, c’est la parfaite osmose de deux talents. Un disque épanoui, éclairé d’une superbe lumière intérieure. L’album d’une rencontre. Où, chacun son tour, on évoque amours perdus et passions à venir. Les pages tournées comme celles à entrouvrir. Ou l’irremplaçable fièvre du moment présent, quitte à y laisser des plumes comme dit joliment Renaud/H-Burns. Ce qui vaudra toujours mieux que les regrets fielleux. La célébration de l’instant. Rien moins. L’alcool aussi chez Bailey. Son péché mignon. On ne pousse pas à Belfast, même brièvement, sans en embrasser certains modes de vie. Et l’évocation du sentiment d’altérité est un autre constante. D’où le titre. Cette impression vérifiable - et une bonne partie de sa vie, lui le grand voyageur né au Kenya, s’est articulée là-dessus – d’être toujours l’étranger de quelqu’un. D’ailleurs, de Brisbane à Londres, de Paris à Malmö, de Memphis à Amsterdam, il a eu le temps de s’acclimater à ces sensations-là. Ajoutons que son complice du jour, ayant joué à quelques reprises au Canada comme aux USA, n’est pas non plus, si l’on ose dire, étranger à la question !
Mais si, des Saints, on connait tout ou presque, Messieurs Jourdain du punk-rock qui, dès 74, en firent sans le savoir - avant que Chris Bailey, gardant le nom, n’explore soul, blues, rock épique ou racines celtiques - on en sait un peu moins sur H-Burns. Dont la carrière, bien qu’elle débute à peine, inspire déjà le respect. On peut avoir grandi en Rhône-Alpes et très tôt s’être laissé submerger par les voix éternelles d’une Amérique de rêve. Woody Guthrie, Léonard Cohen ou Dylan, le phare. Son premier groupe s’appellera 'Don’t Look Back', pour dire ! Adoubant tout autant Bonnie Prince Billy ou Townes Van Zandt, les seigneurs du folk triste. Dont on retrouve un peu de l’écho grave et cristallin sur ‘Songs From the Electric Sky’ et ‘How Strange it is to be anything at all’, deux albums plutôt dépouillés ayant pavé la voie au plus charnel ‘We go way back’. Où il devenait patent que l’indie-rock de Pavement ne le laissait pas non plus insensible. Mais c’est lors de la réédition du premier nommé que se concrétisera cette complicité alors naissante avec le chanteur Australien. Le temps d’une reprise de ‘Massacre’, droit venue de ‘Prodigal Son’, l’un des plus brillants Lps des Saints deuxième époque. Il aura fallu pour ça que Renaud Brustlein - H-Burns, c’est lui ! - aille essuyer les plâtres, en acoustique solitaire, lors de quelques dates d’une tournée française faite en compagnie de Bailey et des siens pour que des liens particuliers se nouent entre les deux hommes.
De fait, c’est à l’aîné que revient le mérite du projet ‘Stranger', esquissé à l’origine comme duo dépouillé, fait pour voyager léger avant que la tentation rock ne le conduise à convoquer son batteur habituel, Peter Wilkinson, Renaud se faisant accompagner d’Antoine Pinet, son camarade guitariste. Gite au pied du Vercors, studio à Grenoble et quelques bouteilles de Côte du Rhône plus tard, le résultat est là ! Et si le plus expérimenté retrouve la verve de ses grands crus sur ‘Visions of Madonna’ ou l’émoustillant ‘Muse’, s’il s’essaye même à de l’inhabituel C&W le temps de ‘Winter’, H-Burns, dans la portion quasi paritaire qui lui est dévolue, fait franchement jeu égal, nous conduisant parfois à l’orée d’une americana balayant de Doc Boggs jusqu’aux grandes voix d’aujourd’hui. Et quand ‘New Sidewalks’ peut évoquer Wilco, ‘Bed Of Brambles’ vibre comme du Jayhawkschampêtre. Il n’hésite pas non plus à se réapproprier son propre ‘So long dying cities’, au rendu majestueux, tout en évoquant subtilement Neil Young et Crazy Horse l’espace du limpide ‘Permanent State’. Modèle d’équilibre, transpirant d’une remarquable spontanéité, ce disque témoigne avant tout de la chaleur d’une rencontre, d’une connivence d’esprit qui fait la musique belle et l’expérience joyeuse. Un de ces moments uniques qu’ils nous donnent désormais à partager. Nous vous prions simplement de ne pas vous en priver !
Alain Feydri.