I Définition
Ce terme que l’on utilise en arabe dialectal sert à désigner les clandestins littéralement harragas signifie les « brûleurs » ceux qui mettent feu à leurs papiers pour mieux « griller » les frontières.
Ce trio constitué en 2007 est composé de Abd El Haq ( voix, textes), Franco Mannara (guitares et effets), Franck Vaillant ( batterie) propose pendant près d’une heure un ensemble de pièces qui s’apparentent à des « courts métrages musicaux »
II Répertoire et thématiques
En effet, chaque morceau dispose de son unité de temps, de lieu et de ses personnages. Ces derniers ont un point commun : ne jamais être à leur place. Le plus souvent, les textes insistent sur la thématique de l’exclusion en utilisant la figure de l’étranger/exilé.
« Etranger/exilé chez soi » de manière volontaire ou subie le répertoire de Harragas en propose différentes illustrations notamment dans « Bon Voyage », « Charlie », « Entre les murs », « Kader », « Futur ligne continue »
Ici, la biographie de Parker prend à contre-courant les annales du jazz. Il ne s’agit pas de décrire étapes par étapes « l’émergence du génial inventeur du Be Bop » mais plutôt d’insister sur le parcours d’un ego fragile et contrarié, confronté à la ségrégation raciale et à un succès qu’il n’assume pas.
« Bon Voyage » et « Entre les Murs » ont pour décor la ville de Nice, une Côte d’Azur opulente qui voit d’un mauvais œil les étrangers. Dans « Bon Voyage » à l’occasion d’une sortie, des adolescents qui vivent en périphérie empruntent le bus pour se rendre au centre. Là bas, ils savent que rien ni personne ne les attend/désire.
Ils s’abreuvent en faisant du lèche-vitrines tout en sachant que ces objets sont inaccessibles. A cette « exclusion économique » s’ajoute l’hostilité silencieuse des passants craintifs de la Promenade des Anglais. Dans le prolongement, « Entre les Murs » revient sur ces adolescents et leur mode de vie dans une cité qui fonctionne comme une microsociété évitant un centre qui la tient scrupuleusement à l’écart. Les séquences du texte montrent qu’il est possible de grandir, « s’épanouir » entre les murs.
L’étranger est également décrit au sens strict du terme celui qui vit et vient d’ailleurs c’est notamment le cas dans « Casaserpents » qui décrit les rues de Casablanca en empruntant l’itinéraire d’un taxi. Le rétroviseur sert de caméra dans ce travelling qui capte des images et soulève des interrogations sur la situation économique du Maroc, son rapport à la religion et à l’Occident.
III La musique de Harragas.
Franck Vaillant à la batterie et Franco Mannara à la guitare ne se contentent pas « d’accompagner » ses séquences. En alternant compositions et improvisations, ils se lancent dans un jeu de questions- réponses. Lorsque l’un lâche du leste, l’autre cherche les combinaisons qui pourraient coller au scénario de l’histoire. Une énergie brute se dégage de ce duo où il n’est pas question de jouer « tout le temps à tout prix » Les silences volontaires de l’un mettent en valeur les interventions de l’autre. La musique de harragas se veut à la fois exigeante et simple en dehors de volonté de démonstration. En effet, du fait de leurs parcours ces deux musiciens n’ont pas besoin de « montrer » qu’ils savent jouer.
IV Enregistrement ( 13-19 juin 2008 à Marrakech).
Un an après sa création, le trio décide d’enregistrer son premier disque suivant deux envies : garder un esprit « live », sortir des frontières hexagonales.
Il s’agit de mettre en valeur une « création sur l’instant » qui s’écarte des compositions calibrées. Les membres du groupe préfèrent l’instantanéité et la prise de risque inhérentes à la scène. C’est la raison pour laquelle, ils ont choisi d’enregistrer leurs séquences avec du matériel « mobile » minimal et efficace : une batterie de micros, un logiciel pour la prise de sons.
Mais surtout, c’est pour rester fidèles à la thématique des « brûleurs de frontières » qu’ils décident de réaliser ce premier disque au Maroc pays d’origine de Abd El Haq. Dans la logique de l’aller-retour permanent entre la France et le Maroc, le trio prend le chemin inverse des Harragas comme un retour aux sources pour mieux comprendre cette identité contrariée ( pas tout à fait d’ici, déjà plus de là-bas). Une double appartenance à la fois synonyme de richesse et de souffrance.