Dans la sphère des musiques électroniques, les filles ne sont pas légion, quoi que les choses soient en train de changer, et quand il s’agit de scène hardcore ou expérimentale, n’en parlons même pas.
Sylvie Egret aka Ybrid fait partie de la gente féminine qui aime voir les compteurs Geiger s’affoler sous la houlette de machines prédatrices et de mélodies hautement radioaddictives. Mais avant d’en arriver au double album que vous avez entre les mains, Defixio, gravitant sur les terres du Hardcore et Ex Nihilo Nihil, plongée abyssale sur des terres marécageuses où l’Ambiant, en maître des lieux, se voit transpercer par une légion de cordes et d’arrangements fantomatiques zigzagant entre musique classique et expérimentations à la Pan Sonic, Ybrid a enchaîné et diversifié les expériences.
Installée à Caen depuis une dizaine d’années, Ybrid commence dès son plus jeune age à pratiquer, au conservatoire, le piano et la guitare (qu’elle a enseigné pendant 5 ans). Elle découvre la scène électronique dans les eighties par le biais des productions de Art Of Noise, Yello, Kraftwerk, Dead Can Dance…
Entouré de frères et sœurs pratiquant eux aussi la guitare, ce sont Led Zeppelin et les Pixies qui lui donneront envie de jouer dans un groupe de Rock alternatif, Creep ac, influencé aussi bien par Primus, Sonic Youth, Alec Empire, NIN…. Dans les années 90 elle tombe sur l’univers de Laurent Hô, Liza N’ Eliaz, Manu Le Malin, Spiral Tribe, Lenny Dee et son label Industrial Strenght…
Le déclic est instantané. En 98 elle achète son premier ordinateur et commence à faire des lives dès 99. Le son se durcit et se radicalise au fil de ses pérégrinations auditives ( Producer, Hellfish, South Of London, Traffik, Simon Underground, Aphasia, Joshua, Hardcoholics, Speedyq’s, Celsius, Dr Macabre, Armaguet Nad, Radium…).
Poussée par le désir de ne pas s’enfermer dans un style en particulier, elle développe des projets parallèles, composant des bandes son pour des compagnies de danse, Jacky Auvray, élaborant la BO pour le film de Murnau, Nosferatu, à la demande de UWE dans le cadre de Electronic Cinéma (Jeff Mills avait réalisé celle du film Metropolis de Fritz Lang), ou développant le projet Silencio de Metem, en collaboration avec la chanteuse Camille ( pas celle de l’album Le Fil ), qui verrait Dead Can Dance et Creatures jouer avec des ordinateurs épris de primitivisme avant gardiste et de tribalité sophistiquée. Pourtant, bien que différentes, on retrouve dans les diverses compositions de Ybrid, des éléments fédérateurs tels que le goût pour les petites voix espiègles, les cordes tendues flirtant parfois avec le classicisme, des pieds aux saturations démoniaques…
Defixio (Hardcore) & Ex Nihilo Nihil (Expérimental) qui devait voir le jour sur Epileptik, sort finalement sur le label Ozore Age, suite à la fermeture du distributeur Tripsichord. Et c’est un sacré challenge par les temps qui courent, que de proposer un double album aux climats et ambiances à priori antinomiques. Mais lorsqu’on jette une oreille attentive au travail de Ybrid, on est comme subjugué, happé, par ces titres aux climats mélancoliques et profondément noirs, sans pour autant donner envie de tuer, comme le lui fit remarquer un spectateur, suite à un de ses sets.
Les titres issus d’un idiome parfois inventé ou fortement influencés par les langues antiques, sont le parfait reflet de cette gestation musicale sans age, qui semble raviver un panthéon de dieux paillards et fêtards, obnubilés par le simple désir de se mouvoir en toute libertés sur les eaux mouvantes de la créativité, sans avoir à se fixer de limites ou de barrière. Puissant, indus, rageur, métissé avec l’apport de voix aux confins parfois du liturgique, cordes, cornemuse comme sur le surprenant Loyo – Denning - Dal, le tout animé par un certain goût du risque et de l’expérimentation.
Ybrid joue à l’alchimiste, conciliant ses influences, un certain goût pour l’humour noir et une vision large de ce à quoi devrait ressembler la musique d’aujourd’hui et de demain. Elle nous livre un objet sonore débarrassé de toute contrainte et mu par le simple désir de se faire plaisir tout en nous faisant réagir.
Oubliez les étiquettes et laissez les préjugés de coté pour plonger les oreilles vierges dans ce monde catatonique, où spectres, machines et humains dessinent les contours de l’indépendance artistique.
Darkement Jouissif !