Par son Histoire pleine d'antagonismes, sa capacité à se relever éternellement de ses ténèbres, son souffle vital, Berlin aura vampirisé comme peu d'autres villes les musiciens les plus pointus, qu'ils viennent d'ailleurs (Lou Reed, David Bowie, Iggy Pop, Brian Eno, U2...) ou qu'ils y aient grandi (Klaus Schulze, Tangerine Dream, Ash Ra Tempel, Rhythm & Sound...). La ville aura également magnétisé de nombreux cinéastes de tous bords (Murnau, Lang, Rossellini, Hitchcock, Wenders...) qui ont tous un jour senti le besoin de s'appuyer sur son architecture, son atmosphère, son âme.
Walther Ruttmann fut l'un des tout premiers à s'intéresser pleinement à la capitale allemande. En 1927, sort « Berlin, la Symphonie d'une Grande Ville », un quasi-documentaire au montage résolument avant-gardiste qui prend le pouls d'une cité ivre de sa propre vitalité. Quatre ans après « Le Cabinet du docteur Caligari » de Robert Wiene, Zenzile s'est donc replongé dans l'exercice du ciné-concert, en offrant une nouvelle bande-son au film de Ruttmann. Mais cette fois, libéré de la dictature de la narration, le groupe angevin s'est senti suffisamment à l'aise avec cette nouvelle matière pour en tirer un album qui saurait s'émanciper des images qui l'ont fait naître.
Voici donc « Berlin », l'album. Et comme chaque nouvel album de Zenzile, il nous prend à contrepied. On a tous souligné à grands cris leur retour aux sources du dub/reggae pour « Electric Soul » en 2012. Ils signent aujourd'hui un disque plus rock encore que « Living in Monochrome » en 2007 (qui concédait encore deux titres reggae). « Electric Soul » était leur disque le plus vocal, « Berlin » est leur disque le plus instrumental. Mais puisque c'est Zenzile, il y a toujours ce son, cette identité forte, qui leur permet de slalomer entre nos attentes sans jamais se perdre depuis 1998.
Pour trouver la pulsation de ce nouveau disque, le quintette a probablement ressorti ses vielles galettes de Krautrock et de Kosmische Musik. L'album se décline en effet en plages planantes et grooves obstinés. Le morceau d'ouverture « Kindergarten » a par exemple la délicatesse d'un Tangerine Dream quand « Zug » s'impose avec l'efficacité d'un Neu!. Comme cette scène rock allemande des '70s a énormément influencé le post-punk anglais, on aurait aussi tout à fait pu imaginer un Colin Newman, le chanteur de Wire, absolument à son aise sur les nerveux « Bourgeoisie » ou « Fabrik ». Il faudrait également parler de « Brucke » et « Freizeit » qui sont tous deux amenés à devenir des futurs classiques des Angevins.
Mais le sommet de ce disque, celui qui fera basculer le public vers le point de non-retour pendant les concerts, c'est sans nul doute « Verkehr ». 8'30'' qui commencent à la cool, jusqu'à ce que la basse s'emballe avec ce gimmick motorik qui possède immédiatement les corps. La course folle et psychédélique qui s'ensuit alors vous embarquera sur les rivages les plus insoupçonnés, du spiritual jazz façon Pharoah Sanders à la pop californienne, comme si l'espace et le temps n'avaient plus de raisons d'être. C'est sans doute le morceau qu'on écoutera au jugement dernier quand les humains et les robots danseront tous à l'unisson avant le reboot final.
Berlin. Le Disque d'un Grand Groupe.
Kalcha